lundi 5 octobre 2009

Le vieillissement expliqué par le Prix Nobel de médecine 2009



LaNutrition.fr Qu’est-ce que les télomères et la télomérase ?

Elizabeth Blackburn : Les télomères ce sont les coiffes protectrices de l’extrémité des chromosomes dans les cellules. Les chromosomes portent l’information génétique. Les télomères, c’est un peu comme l’extrémité rigide de vos lacets. Sans elle, le lacet s’effiloche.
La télomérase est une enzyme. Dans les cellules, elle restaure la longueur des télomères lorsqu’ils sont usés. Quand l’extrémité
des chromosomes s’effiloche, la télomérase intervient et la reconstruit.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à l’extrémité des chromosomes ?

Dans les années 1970, j’ai fait un doctorat à Cambridge avec Fred Stanger qui travaillait alors à un moyen de cartographier ce qu’il y a dans l’ADN. Il a reçu le Prix Nobel quelque temps après. Dans son laboratoire, j’ai remarqué qu’on pouvait séquencer – ou cartographier – l’extrémité des molécules d’ADN. Mais c’était un travail difficile parce que les filaments d’ADN sont très longs et avec la technologie de l’époque, c’était dur de localiser les extrémités. Un peu plus tard, j’ai fait un post-doc à Yale avec Joe Gall, qui a découvert une famille de minuscules chromosomes linéaires dans des organismes unicellulaires appelés protozoaires. Ces créatures avaient des chromosomes adorables et très accessibles. Je me suis dit « Super. Je vais les séquencer. » Et de suite, j’ai découvert ces structures étranges à leur extrémité : des télomères. Au cours des années qui ont suivi, notre laboratoire et d’autres labos dans le monde ont commencé de montrer que ces télomères étaient importants. Jusque là, on pensait que seul l’ADN pouvait faire de l’ADN. Avec une de mes étudiantes de l’époque, Carol Greider, nous avons découvert cette enzyme, la télomérase et montré qu’elle fabrique de l’ADN.

Quel est le lien entre télomères, vieillissement et maladies liées à l’âge ?

Chez l’homme, il se passe la chose suivante : au fur et à mesure que nous vieillissons, nos télomères s’usent. Evidemment, nous nous posons une question depuis le début : est-ce que ça a de l’importance  ? Eh bien de plus en plus, il semble que ça ait de l’importance. En fait, un chromosome sans télomère court le danger d’être réarrangé ou de devenir instable et cette instabilité peut conduire au cancer et à d’autres types de maladies ; c’est ce que nous sommes en train de trouver.

Cette instabilité est-elle directement responsable de maladies ?

Il y a deux types d’instabilité. D’abord, les extrémités s’usent au cours du processus naturel de réparation et de maintien de l’ADN des chromosomes. Mais dans le vieillissement l’extrémité de nos chromosomes s’use et cela a pour conséquence de dire à la cellule de ne pas se renouveler. Et donc il y a des maladies liées à l’âge parce que certains types de cellules ne se renouvellent pas correctement et nous observons de plus en plus une relation de cause à effet. En fait, nous voyons qu’il y a un lien entre cette incapacité à maintenir intacte l’extrémité des chromosomes et l’apparition de maladies comme le diabète, les maladies cardiovasculaires, le cancer.

Parles-nous des effets cellulaires du stress…

Il y a toutes de sortes de stress. Par exemple, je rentre à l’instant de la salle de gym et j’ai stressé mon corps et je me sens incroyablement bien. Voilà un stress qui constitue un challenge et que vous contrôlez. Donc on peut parfaitement bien réagir à un stress aigu. Mais si la situation stressante est perçue en permanence comme une menace plutôt que comme un challenge, si l’on n’identifie pas les ressources qui permettent d’y faire face, alors on a affaire à un type de stress dont on connaît les conséquences cliniques, et elles ne sont pas bonnes.

Quel est le lien entre la longueur des télomères et le stress ?

Dans mon laboratoire, nous avons trouvé que le stress psycholoqique chronique incontrôlable fait réellement vieillir les cellules : c’est ce que nous pouvons voir en mesurant l’usure des extrémités des chromosomes, ces télomères. Il y a quelques années, le Dr Elissa Epel, une psychologue qui étudie le stress chronique est venue me voir. Elle m’a posé la question suivante : « Le stress a –t-il un effet sur le vieillissement cellulaire ? » Des chercheurs et des cliniciens avaient observé que les personnes soumises pendant longtemps à un stress important semblent particulièrement marquées, avec un visage émacié et les signes caractéristiques d’une usure précoce. Donc Elissa a mis au point une étude au cours de laquelle nous avons examiné deux groupes de mères. Les unes avaient des enfants normaux et en bonne santé. Les autres un enfant souffrant d’une maladie chronique. Nous avons conduit des mesures physiologiques et psychologiques dans les deux groupes. Dans le groupe qui subissait ce stress, nous avons trouvé la chose suivante : plus les mères avaient passé de temps à s’occuper de leur enfant malade, plus leurs télomères étaient courts et moins elles avaient de télomérase.
C’était la première fois que nous observions la cause et les effets d’une influence non génétique. Les gènes jouent un rôle dans le niveau de la télomèrase, mais là il n’y avait aucune influence génétique. Il s’agissait d’un événement affectant le corps de l’extérieur et affectant sa capacité à se réparer. Nous avons trouvé la même chose sur des cellules de femmes qui s’occupaient d’un conjoint souffrant de démence.

Ce stress affecte-t-il toutes les cellules ou seulement certaines d’entre elles ?

Les cellules que nous avons examinées au début étaient des familles de globules blancs, et maintenant nous les avons catégorisées en sous-familles. Mais l’étude initiale était juste sur des globules blancs, qui sont unes espèce de fenêtre sur votre système immunitaire : elles vous disent si votre immunité est bonne, si vous avez des réponses inflammatoires inappropriées, si vous êtes épuisé(e).

Peut-on considérer que c’est la preuve que corps et esprit sont liés ?

C’est une preuve. Il y en a d’autres. Des chercheurs ont trouvé que le cerveau envoie des nerfs directement dans des organes du système immunitaire et pas seulement au corps ou au système digestif. De cette manière aussi le cerveau influence le corps.
L’une des choses que nous avons constatées dans notre étude sur les mères, c’est qu’il y a un lien entre un niveau de télomérase bas et les maladies liées au stress. Nous avons fait des mesures de marqueurs de la santé cardiovasculaire – cholestérol, triglycérides, obésité, etc. Les femmes dont les paramètres étaient les plus mauvais étaient celles dont la télomérase était basse.
Nous avons aussi regardé les télomères en relation avec le cancer. Nous nous demandions si une cellule dont l’extrémité des chromosomes et usée risquait de se diviser de manière anormale. Nos résultats ne sont pas encore publiés, donc je ne peux pas vous en dire beaucoup plus ici, mais je pense que nous sommes sur une piste.

Peut-on imaginer une pilule qui réparerait les télomères ?

En l’état des connaissances, on parie plutôt sur des interventions simples à mettre en œuvre. Nous savons que le stress est mauvais pour nos cellules. Et si nous diminuons le stress ? Nous collaborons à des études qui évalent le niveau de télomérase chez des personnes qui pratiquent la méditation. Nous voulons savoir si la télomérase change après un programme de méditation de trois mois. Il y a dix ans, si vous m’aviez dit que je m’intéresserais sérieusement à la méditation, j’aurais dit que l’un de nous est fou !

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